Face aux défis environnementaux et sociétaux grandissants, la mouvance low-tech prend de plus en plus d’ampleur. Conséquence de cette montée en puissance, l’appellation « low-tech » est utilisée à tort ou à raison. Alors concrètement, de quoi parle-t-on ?
Un raccourci sémantique
Le qualificatif “low-tech” est généralement utilisé pour désigner un objet ou une technologie. Toutefois, afin d’être véritablement low-tech un produit ne doit pas dépendre d’une chaîne de valeurs high-tech. Philippe Bihouix, spécialiste de la finitude des ressources métalliques et minières et figure des low-techs en France, prend l’exemple du vélo. Celui-ci est low-tech, en tant qu’objet mais ne l’est pas en tant que système s’il a été produit dans une usine de haute technologie entièrement automatisée (1). Pour qu’un objet soit considéré comme low-tech c’est bien l’ensemble de son cycle de vie qui doit l’être.
Une démarche environnementale, sociale et humaniste
Bien qu’il n’existe pas à proprement parler de définition reconnue, certains éléments sociaux, humains et environnementaux apparaissent comme incontournables à un système low-tech.
Sur l’aspect environnemental, l’objet se voulant low-tech doit présenter des éléments “de durabilité forte”. Ainsi, celui-ci doit être le plus sobre[1] possible, efficient afin de limiter la consommation d’énergie et aisément réparable puis recyclable. La réparabilité est à la frontière entre les thématiques environnementales et sociales.
En effet, si la plupart des technologies sont dans l’absolu réparables, dans les faits, il est souvent nécessaire d’envoyer ces objets en réparation aux quatre coins de la France, voire de l’Europe. Les technologies low-techs, elles, le sont à l’échelle du bassin de vie du consommateur, avec peu de moyens et avec des connaissances aisément acquérables. De fait, elles favorisent et valorisent l’entraide entre les utilisateurs et développent l’emploi au niveau local. Cette réparabilité à un échelon géographique de faible envergure garantit également des délais de réparation plus courts, favorisant la pérennité des activités dépendantes des systèmes low-techs.
L’aspect social des low-techs se caractérise également au travers de leur simplicité d’utilisation, celles-ci nécessitant peu ou pas de formation préalable. Pour mieux comprendre cette notion, il semble pertinent de parler d’un secteur aux antipodes de cette philosophie : le numérique. En effet, selon l’INSEE, en 2019, 14 millions de Français étaient touchés par l’illectronisme (2). Cette absence d’accès à internet ou les faibles connaissances sur l’utilisation du numérique n’est pas sans conséquence : la fracture numérique contribuant à aggraver la fracture sociale.
La partie sociale et technique des low-techs ne doit pas occulter l’aspect humaniste de la démarche. La mouvance low-tech vise à faire de l’outil un moyen pour l’utilisateur de se réaliser et non que ce dernier développe une dépendance et une perte d’autonomie vis-à-vis de son équipement.
L’objectif n’est cependant pas de tendre vers le technosolutionnisme, le meilleur outil étant celui que l’on ne produit pas si une autre solution est possible. Les défenseurs des low-techs invitent à reconsidérer les besoins, les envies et à déterminer si une solution non technique n’est pas préférable.
Il serait réducteur de penser que les low-techs ne s’appliquent qu’aux machines. La fabrication de lessive ou la production de boissons fermentées à base de kéfir peuvent être considérées comme des démarches low-techs par l’indépendance qu’elles apportent aux consommateurs et à leur faible impact environnemental.
Les low-techs, un retour en arrière ?
La low-tech est une démarche globale de société pouvant être définie comme “techno-critique”, mais en aucun cas “technophobe”. Son objectif n’est pas de renoncer à des décennies de recherche et de progrès, mais bien de répondre efficacement aux défis techniques et sociétaux sans outrepasser les limites planétaires (3). Pour ce faire, les défenseurs de la low-tech proposent un équilibre entre les technologies high-techs pouvant être qualifiées « d’indispensables » (ex. les équipements médicaux, sécurité) et des équipements ayant atteint « l’optimum technologique »[2] pour le reste des usages (ex. vélos et skateboards pour la mobilité). Cet optimum fait référence au stade auquel l’objet répond pleinement à sa mission tout en nécessitant le moins de ressources possible. Cette idée était déjà synthétisée par Antoine de Saint-Exupéry lorsqu’il disait : « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. »
Cette diminution des consommations et des besoins est souvent perçue comme inconfortable, voire dangereuse. Pourtant, les low-techs visent à apporter plus de confort et de sécurité dans un monde aux ressources finies. Pour reprendre l’expression de Philippe Bihouix « mieux vaut une sobriété choisie qu’une sobriété subie » (4). Les ressources, notamment fossiles et minières sont présentes en quantités finies sur Terre, de fait, le rythme de vie actuel des occidentaux n’est pas soutenable à moyen terme. L’exemple le plus frappant étant celui de l’approvisionnement en pétrole, avec un pic pétrolier prévu pour 2025[3] (5). On comprend alors mieux l’intérêt de développer des technologies alliant sobriété et efficacité énergétique, notamment dans des secteurs vitaux comme l’agriculture dans l’optique de sécuriser l’approvisionnement alimentaire.
C’est notamment sur le secteur agricole, qui sera abordé dans un prochain article, que de belles réussites low-techs ont eu lieu. S’il existe des outils agricoles low-techs, certains modes de culture le sont également. En effet, l’agroécologie permet de limiter au maximum le recours aux engrais et aux engins mécaniques en utilisant les interactions entre les différentes espèces animales et végétales. En cultivant sur un sol couvert par différentes variétés de végétaux, l’énergie du soleil est captée de la façon la plus optimale possible. Les nutriments ne ruissellent pas et l’espace est optimisé au maximum, permettant d’importants rendements sur des faibles surfaces de production. On parle alors de micro-maraichage biologique intensif. L’usage des pesticides est lui aussi fortement limité voire supprimé, une partie des cultures étant utilisée pour faire fuir les ravageurs. Grâce à ces techniques, la ferme du Bec-Hellouin fondée par Charles et Perrine Hervé-Gruyer est rentable sur moins d’un hectare de production, avec uniquement du travail manuel. (6)
Le défi culturel
La philosophie low-tech ne peut se développer sans une nécessaire transformation culturelle, notamment en ce qui concerne la diffusion de l’information. En effet, pour déployer tout leur potentiel les idées et techniques doivent être diffusées massivement, soit de manière gratuite par le biais des « creative commons » ou à des tarifs accessibles, s’opposant frontalement aux politiques des brevets agressifs ou des prix en constante hausse sur les high-techs. (3)
Cette démarche est déjà entreprise par des associations à but non lucratif, comme l’Atelier Paysan , qui diffuse les plans de machines agricoles auto-construites, forme les agriculteurs et le cas échéant vend des machines en kit. Celles-ci ne sont pas toutes low-techs au sens systémique, mais peuvent être considérées comme des « lower-tech » avec, par exemple, des motorisations alternatives utilisant des moteurs de vélo-cargos afin de remplacer les tracteurs.
Limites actuelles des low-techs
Dans son rapport sur le sujet, l’ADEME cite différents freins au développement des low-techs. Le premier est réglementaire. La philosophie low-tech étant un nouveau modèle de société, les solutions proposées se confrontent fréquemment à la rigidité des structures administratives ou juridiques. Les assureurs notamment, sont peu enclins à s’associer à ces projets compte tenu du faible retour d’expérience à leur disposition. C’est la réalité à laquelle s’est confrontée Maurine Koerbelé, diplômée en architecture. Faute d’assureur, elle a renoncé à son inscription au sein de l’ordre des architectes[4] pour pouvoir continuer à évoluer dans la construction low-tech (7). Ces difficultés ne sont pourtant pas synonymes de fin pour les projets. Les « permis d’innover » permettent par exemple de construire des bâtiments en dehors de la réglementation et de la modifier en prouvant rétroactivement l’absence de dangerosité et la pertinence des solutions. Cette souplesse réglementaire peut être appliquée à tous les secteurs, au travers des « dispositifs d’expérimentations réglementaires » (1).
La question culturelle, déjà mentionnée précédemment apparait également comme limitante. À cette dernière peut également être rattachée la barrière sémantique, le préfixe « low » ayant une connotation négative. Enfin, le frein économique apparait comme significatif, les low-techs sont principalement rentables à long terme compte tenu du coût humain nécessaire à leur conception (1).
La low-tech : pour un progrès technologique durable ?
Les problématiques environnementales sont de plus en plus prégnantes. Les experts des sciences de l’environnement ont établi 9 limites planétaires à ne pas perturber afin de vivre dans un écosystème sûr. Dans le courant du mois d’avril 2022 une étude a officialisé que l’humanité avait dépassé la 6ème limite, celle du cycle de l’eau douce. Cette dernière est venue se rajouter aux limites du changement climatique, de l’érosion de la biodiversité, des perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore, de l’usage des sols et de la pollution chimique (8).
Face à ce triste constat, les low-techs constituent une formidable opportunité de limiter l’impact environnemental des activités humaines tout en resserrant les liens entre les individus. En permettant un progrès technologique durable, elles permettent également de préparer la société à une sobriété à laquelle elle devra inévitablement faire face.
[1]La sobriété fait ici référence au fait de limiter au maximum la complexité technologique.
[2]L’optimum technologique est le stade auquel l’objet répond pleinement à sa mission tout en nécessitant le moins de ressources possible.
[3] On parle ici du pic incluant le pétrole de roches mères. Le pic pétrolier du pétrole conventionnel a eu lieu en 2008.
[4] Afin de pouvoir exercer la maitrise d’œuvre, porter le titre d’architecte ou signer des permis de construire, l’inscription au « tableau de l’ordre des architectes » est obligatoire. L’ordre assure le respect des lois en matière d’architecture (code de l’urbanisme, etc.). (9)
Bibliographie
(1) ADEME. Démarches “low-techs”. 2022
(2) France culture. L’illectronisme : fracture numérique et fracture sociale ? Décembre 2021.
(3) Wikipédia. Low-techs.
(4) Kaizen. Low-tech : comment entrer dans l’ère de la sobriété énergétique. Décembre 2015.
(5) Auzanneau, Matthieu – Le Monde. Pic pétrolier probable d’ici 2025, selon l’Agence internationale de l’énergie. Février 2019.
(6) Wikipédia. Ferme du Bec-Hellouin. Janvier 2021.
(7) Mellier, Anne. Rue 89. Designeuse, architecte, ingénieure, scientifique… Les moteurs de la low-tech à Strasbourg. 2022.
(8) Franceinfo. Une sixième limite planétaire vient d’être franchie, celle du cycle de l’eau douce. Avril 2022.
(9) Ordre des architectes d’Île-de-France. Rôle et missions de l’ordre.
Ressources : photo @Shutterstock – Volodymyr KHYTRYKOV – Four solaire dans la région de Thangnak (Népal)