CSRD : une révolution RSE qui ne dit pas son nom

  • Expertise

    15 July 2024

La nouvelle directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) commence à se propager au sein des entreprises européennes. Que ces dernières soient réticentes ou non à son application, il est clair qu’une directive européenne n’a jamais autant consacré l’extra-financier. Serait-ce la première étape d’une révolution des politiques RSE ? Cela en prend véritablement le chemin.

 

Ce n’est pas une révélation : l’accélération des catastrophes liées au changement climatique s’est accentuée. Mais ce phénomène ne se limite pas à sa seule intensité : il se manifeste également par la récurrence de ces catastrophes, passant d’événements qualifiés de « cygne noir » à des événements périodiques, considérés « normaux » à certaines périodes de l’année. Ces évènements ne sont plus si lointains : ils nous touchent au quotidien sur des occurrences minorées certes, mais qui ont des conséquences tout aussi graves, au niveau humain et matériel. Les enjeux environnementaux n’ont jamais été aussi prégnants et il est certain, à l’image de la réglementation, que toutes les activités, nouvelles ou plus anciennes, seront rattachées voire conditionnées par les nouvelles prérogatives extra-financières.

 

L’extra-financier au même niveau que le financier

En quelques années seulement, l’Europe a intégré autant de textes règlementaires encadrant l’extra-financiers qu’elle n’a œuvré en 150 ans de régulation financière. Cette accélération se traduit par la mise en œuvre des textes règlementaires assez fournis, dans un timing court entre les travaux de rédaction et la parution pour application. Dans ce corpus de textes, nous retrouvons la Taxonomie environnementale, la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), la Non Financial Reporting Directive (NFRD) ou Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF), la loi PACTE, l’encadrement des rapports ESG et RSE, la régulation sur les données et fournisseurs de données ESG, etc… Dans ce contexte inédit, la CSRD entend encadrer plus fortement la performance extra-financière d’un nombre croissant d’entreprises européennes, 50 000 pour être précis, afin d’engager et d’accélérer la transition de celles-ci. La transparence est l’une des priorités de cette directive et doit obliger les sociétés à maitriser leur chaine de valeur, en travaillant petit à petit uniquement avec des partenaires (fournisseurs et clients) qui respecteront des principes ESG égaux ou équivalents.

Forcément, l’un des objectifs est d’éviter au maximum le phénomène de « greenwashing », encore trop largement répandu. Au travers de reporting rigoureux, la CSRD imposera ainsi un questionnaire très précis sur plus de 1100 données permettant ainsi de déceler plus facilement les manquements et/ou abus. Ce reporting de durabilité va bien au-delà du simple exercice de communication règlementaire, il vient fiabiliser les informations extra-financières et apporter, en priorité, de la clarté sur une règlementation parfois trop évasive. Cette standardisation devra permettre aussi de donner plus de sens au score ESG. En effet, jusqu’ici, selon les méthodologies employées par les fournisseurs de données, et selon les informations prises en compte, nous pouvions nous retrouver avec des notations variant du simple au double, rendant peu fiable le scoring et la confiance des acteurs en celui-ci.

 

La double matérialité, l’enjeu majeur de la CSRD

Cette directive pousse l’engagement des entreprises encore plus loin en introduisant le concept de double matérialité qui permet de mettre en exergue l’impact des activités d’une entreprise sur l’environnement et la société ainsi que celui des enjeux sociétaux et environnementaux sur la performance économique d’une société. On le comprend, l’analyse s’élargit considérablement et avec elle le volume de données requis pour la mener à bien. Car, au-delà des données collectées en interne, il faudra également en récolter auprès des fournisseurs et des clients

Là encore, les répercussions sur la structure de son business et de ses partenaires peuvent être très importantes si les critères ESG ont peu ou pas été priorisés. Sans être punitive, la CSRD révèle publiquement le niveau d’investissement des entreprises en matière de durabilité. Si nous n’en étions pas certains, il apparaît clair que la prochaine étape consistera à attribuer un score aux entreprises selon leur performance ESG et d’y conditionner leur capacité à être subventionnées. Une première. Ce nouvel indicateur de performance sera donc une clé pour faire de l’analyse au même titre qu’une analyse crédit, engendrant une multitude d’application possible, allant de la capacité d’emprunt, à l’attractivité en matière d’investissement jusqu’à la sanction financière règlementaire en cas de mauvaise notation

 

Des réticences mais pas de retour en arrière

L’impact d’une telle directive ne laisse pas indifférent et nombre d’entreprises y voient déjà un énième moyen destiné à entraver la croissance. Et il est difficile de leur donner tort tant son non-respect peut, au-delà des sanctions financières, avoir des répercussions sur l’image véhiculée par une entreprise auprès de ses clients et du grand public.

Surtout, en agissant ainsi, l’Europe envoie un message fort : l’accélération de la lutte contre le dérèglement climatique passera par davantage de régulation car seules les autorités législatives ont le pouvoir de faire bouger ces lignes. De fait, la CSRD semble constituer la première étape pour accompagner les entreprises mais également les consommateurs vers un fonctionnement plus durable de notre société. Une société où l’on récompense véritablement les entreprises qui concentrent leur production sur le vieux continent. Encore faut-il que les instances européennes cessent d’ouvrir les marchés aux Etats-Unis et à la Chine et protègent le marché interne européen, auquel cas une directive comme la CSRD n’aura finalement que peu d’intérêt.