Nous sommes dans l’ère de l’“agile”. Longtemps associée aux startups et petites structures, l’agilité se répand dans les sociétés de plus grande taille. Les industries, les grands groupes bancaires, les administrations se sentent tenues de devenir “agiles”. Face à l’impériosité d’évoluer avec la transition digitale et un management en quête de sens, l’agilité est employée à toutes les sauces. Pour le meilleur comme pour le nettement moins bon.
Au fait, c’est quoi l’agilité ?
C’est un état d’esprit, une posture qui favorise principalement la prise en compte du changement, inhérent à notre époque (le monde change de plus en plus vite), ainsi que l’amélioration continue personnelle et de l’équipe. Le changement est alors perçu comme une chance de faire le bon produit ou rendre le bon service, et non pas comme un problème. Les valeurs et les principes de l’agilité sont mis en œuvre au travers de méthodes, de cadres, et de diverses pratiques. Plus concrètement, l’agilité propose une alternative au modèle managérial du « Command and Control », et contrairement à ce que beaucoup croient, elle n’est pas limitée au domaine de l’informatique et des projets.
L’agilité est devenue « à la mode »
La plupart des sociétés veulent « agiliser » leurs équipes, voire leur organisation. Pourquoi ? Parfois pour faire comme le concurrent, le partenaire, le client ou le fournisseur. Cela peut-être également une injonction de la direction de l’entreprise, d’un gros client ou des préconisations des sachants fans de « buzz word ». Cela peut être également vu comme un aspect différenciant dans certains domaines. Au final, il est devenu de bon ton de dire que son entreprise est « agile ». La transition digitale enjoint également aux entreprises de faire peau neuve. De son côté, le management classique est en crise, il est en quête de sens.
Selon une étude Ipsos de septembre 2019, moins d’un employé sur 10 aspire à devenir manager dans les 5 à 10 ans à venir. 81 % des managers estiment que leur travail est devenu plus dur ces dernières années (85 % en France), 48 % se disent moins motivés (59 % en France), et seuls 37 % des managers désirent le rester. Enfin, 71% des managers ressentent la nécessité de développer leurs compétences dans de nouvelles technologies ou de nouvelles manières de travailler. Au regard de la situation, beaucoup d’entreprises se tournent vers l’agilité comme vers une bouée de sauvetage, ou une baguette magique.
Bienvenue dans l’ère de « l’agile washing »
On assiste actuellement à une période que l’on peut qualifier d’« agile washing », amenant parfois à des errances ou des désillusions dans les entreprises. Ce n’est pas cracher dans la soupe que de dire que l’agilité n’est pas la solution à tout. L’agilité n’est pas un but en soi, mais un moyen d’améliorer le fonctionnement d’une équipe pour commencer, voire d’une organisation dans un deuxième temps.
Il est facile de laisser croire que l’on peut industrialiser la mise en œuvre de l’agilité aux moyens de « patterns » et d’une armée de consultants fraichement sensibilisés à cette nouvelle « méthode ». C’est oublier que l’agilité est basée avant tout sur de l’humain et non pas sur des processus ou un quelconque outillage. C’est oublier que les collaborateurs sont des humains tous différents et non pas des « ressources » interchangeables. C’est oublier que l’agilité n’est pas une méthode mais bien un état d’esprit, et oserais-je le dire, une réelle philosophie. C’est oublier que l’élément « atomique » du dispositif est bel et bien l’équipe et qu’il faut commencer par bien faire fonctionner cette dernière avant de songer à « agiliser » l’organisation. C’est oublier, même si le management se doit d’en être le sponsor, qu’une transformation d’organisation n’est pérenne que si les collaborateurs de cette dernière en sont les principaux acteurs. C’est oublier, enfin, que cette transformation doit être voulue et non subie, et que la vitesse de cette transformation est celle des collaborateurs qui sont transformés et non celle d’un quelconque plan élaboré à l’avance.
On parle maintenant d’ « agilité à l’échelle », mais pour monter à l’échelle, il convient de commencer par son premier barreau, c’est-à-dire l’équipe.
Comment s’assurer de choisir l’agilité pour les bonnes raisons ?
- Ne pas imposer l’agilité à des collaborateurs qui ne veulent pas en faire ou qui n’ont pas compris l’intérêt d’en faire. Dans l’approche agile, c’est l’humain qui apporte de la valeur au projet. Si le management souhaite appliquer l’agilité dans les équipes, son modus operandi doit être « soyons tous agiles» et non pas « faites tous de l’agile ».
- Assister à des conférences, des meetups, pour bénéficier de retours d’expérience de la part d’autres acteurs qui ont réussi ou échoué dans leur mise en œuvre de l’agilité, en gardant à l’esprit qu’une solution qui fonctionne chez l’un, ne fonctionnera pas nécessairement chez l’autre.
- Enfin, vous faire accompagner par un agiliste afin de réfléchir au problème à résoudre ou l’objectif à atteindre, avant de penser à une solution, et ainsi s’assurer que l’agilité est réellement pertinente.
Quelques points d’attention…
- On ne change pas une équipe qui gagne. Si une équipe fonctionne bien dans une organisation déjà sur les rails, pourquoi la changer ? Dans ce cas, mettre de l’agilité en place risque surtout de déstabiliser cette cohésion.
- Surtout, ne pas oublier d’acculturer l’écosystème d’une équipe, dans son ensemble, à l’agilité, et en particuliers le top management et les Ressources Humaines. Ces derniers devront, eux aussi, jouer pleinement leur rôle d’agent du changement.
Les bénéfices de la bonne application de l’agilité, quelques chiffres (*) …
Selon une étude de versionOne de 2019, le 13eme State Of Agile Report, 69 % des participants affirment que l’application des méthodes agiles leur apporte de réelles facilités dans la gestion du changement de priorité en cours de développement, 61 % constatent une nette amélioration de la productivité de l’équipe, et 64% un meilleur alignement des objectifs entre l’IT et le business.
Selon une autre étude de la Scrum League en 2019, 77 % des participants estiment que les méthodes agiles permettent une meilleure visibilité sur les projets et une meilleure identification du retard.
À force de voir l’agilité comme une baguette magique qui répond à tous les problèmes, elle peut perdre de son sens. Perte de sens qui suit souvent la récupération d’une philosophie ou d’un mouvement de pensée. La dénaturation de l’agilité peut avoir des conséquences notoires. Elle peut mettre en difficulté des organisations, elle peut heurter des collaborateurs de longue date et décrédibilise une méthodologie qui a fait ses preuves. Cette perte de sens pousse à croire que l’agilité ne marche pas, alors que le plus souvent, elle n’a pas été réellement mise en œuvre. L’agilité ne se décrète pas, ne s’impose pas.
Notre mission en tant qu’agiliste n’est pas de mettre en œuvre l’agilité partout et tout le temps, mais de faire en sorte que si elle est appliquée, alors que ce soit pour les bonnes raisons, et ainsi maximiser ses chances de réussite.
(*) Sources :
https://www.stateofagile.com/#ufh-c-473508-state-of-agile-report