Entretien avec Elodie Renault-Vaillot, cheffe de projet Scalian, qui dès 2014 a contribué au projet AIRMES. Un projet innovant portant sur l’utilisation de flottes de drones.
Scalian : Qu’est ce qui a motivé le projet AIRMES ?
Elodie Renault-Vaillot, Cheffe de Projet Scalian :
En 2014, le projet est parti d’un workshop d’idéation avec les équipes locales à Aubagne. Nous avions au sein de l’équipe un ancien Docteur qui avait fait une thèse dans les drones sous-marins. Il avait émis des hypothèses de ce qui pourrait être fait avec des drones aériens en collaboration au sein d’une flotte autonome. Les équipes travaillaient à l’époque sur le sujet de systèmes embarqués critiques sur hélicoptères. Ils avaient fait des parallèles entre leurs activités et l’idée de la thèse du consultant. Et ils se demandaient comment il serait possible d’associer les deux sujets pour créer une solution portant sur du logiciel embarqué critique liés aux drones.
Une fiche-idée a été conçue par le Lab Scalian à la suite de ces échanges. Nous l’avons soumise au pôle de compétitivité SAFE Cluster* à Aix en Provence. Le pôle était justement en train de constituer un consortium lié à l’utilisation du drone en environnement industriel où figuraient le Laboratoire UTC (CNRS) et le droniste Aérosurveillance. Nous l’avons rejoint et en avons pris la coordination. Ensemble, nous avons constitué un projet sur l’utilisation de flottes de drones répondant à des cas d’application pour EDF et SNCF qui ont aussi rejoint le projet. De façon à financer partiellement notre investissement, nous avons déposé un dossier FUI (Fonds unique interministériel), programme prévu pour soutenir la recherche appliquée et nous aider au développement du projet. Tout semblait s’aligner.
Scalian : Que s’est-il passé ensuite ?
Elodie Renault-Vaillot :
Nous avons vite été confrontés à une problématique majeure ! A l’époque, il n’existait pas de législation liée à la mise en vol de drones multiples ni de certification aéronautique sur la sécurité dédiée aux drones. La législation considérait qu’un drone était égal à un opérateur.
Pour nous l’objectif était d’expliquer aux instances règlementaires de l’Etat que le logiciel sur lequel nous travaillions permettrait de faire voler une flotte de drones en autonomie. Dans notre projet, nous prévoyions plusieurs drones en vol pour un seul opérateur. Nous sommes passés un peu pour des fous…. En conséquence, notre projet a été tout d’abord rejeté. On nous a demandé de le retravailler sur les aspects sécuritaires et législatifs afin que cela devienne plus proche de la réalité du moment.
Nous avons persisté. Six mois après, nous redéposions un nouveau dossier en ayant renforcé les aspects demandés et surtout en proposant de faire une démonstration qui permettrait de prouver que notre solution fonctionnait et pouvait être déployée. L’idée était de présenter 4 à 6 drones en vol. Derrière chaque drone, nous maintiendrions un opérateur, mais « avec les mains dans le dos ». Ils n’interviendraient qu’en cas d’incident critique et pourrait confirmer ou non chaque décision prise à bord du drone. Avec le soutien de nos partenaires EDF et SNCF, qui souhaitaient vraiment savoir quel pouvait être le ROI de l’utilisation de ce type de système, nous avons finalement été retenus et financés par BPI France en juillet 2015. Le projet AIRMES a pu démarrer !
Scalian : Quels ont été les écueils ou les difficultés rencontrés au cours du projet ?
Elodie Renault-Vaillot :
Les problèmes de vocabulaire entre nous ! Au sein du Consortium, nous utilisions tous un vocabulaire différent. Nous disions la même chose, mais nous ne nous comprenions pas. Un académique ne s’exprime pas de la même façon qu’un industriel. Il a fallu aligner les jargons, trouver une nomenclature commune.
La deuxième difficulté concernait la temporalité du projet. Un industriel a souvent des objectifs courts termes pour rebondir sur un nouveau marché, ce qui n’est pas forcément le cas d’un laboratoire de recherche.
Enfin, le dernier point concernait l’équipe Scalian. Car, même si nous disposions des connaissances et des compétences techniques, il nous a fallu apprendre et monter en compétence dans le domaine spécifique du drone et prendre en compte ses contraintes associées. Très rapidement, un expert « drone » nous a rejoint et a pu nous permettre la création en interne d’une entité dédiée : « Unmanned Systems ».
Scalian : Quelles ont été les retombées de ce projet ?
Elodie Renault-Vaillot :
Ce projet a généré de l’emploi et de nouvelles compétences pour le groupe. Nous nous sommes progressivement dotés d’une équipe spécialisée qui a permis d’aller au bout du projet et d’atteindre nos objectifs. Pour les utilisateurs finaux, cela a permis d’évaluer la pertinence d’utiliser une flotte de drone. Pour l’instant, en France la règlementation est est encore trop contraignante en ce qui concerne le vol de flottes. Mais nos clients continuent à expérimenter et à éprouver d’autres cas d’usage de drones multiples qui est une des clés pour qu’une application à base de drone soit rentable par une continuité de service ou une action rapide et massive.
Pour Scalian, le projet a très clairement ouvert des marchés dans de multiples secteurs où le côté industriel et sécurisé des opérations est clé. Avec TotalEnergie, par exemple, dans leur projet METIS où le besoin était centré sur une flotte de drones autonomes dans des environnement difficiles pour l’homme, nous avons pu continuer de maturer la technologie logicielle EZ-Chain développée grâce à AIRMES et passer en mode opérationnel et préindustriel. D’un ‘proof of concept’ nous sommes parvenu à une solution à un niveau industriel. Nous avons continué à faire évoluer notre brique embarquée en ajoutant des services complémentaires et sécuritaires que nous n’avions pas à l’époque du projet AIRMES.
Scalian : Avec du recul, que nous a appris ce projet ?
Elodie Renault-Vaillot :
Ce projet a permis de montrer aux autorités de régulation qu’il était possible d’utiliser des drones tout en étant confrontés à des contraintes sécuritaires et réglementaires très fortes voire inédites. D’un projet qui semblait fou, finalement, nous avons su gagner en crédibilité en interne et en externe.
Par ailleurs, nous avons aussi su démontrer notre capacité à mettre à profit nos compétences aéronautiques et maitrise des systèmes embarqués critiques et à les transposer à des domaines d’activité différents tel le drone.
D’un point de vue plus personnel, j’en retire une énorme fierté d’avoir pu faire partie d’une aventure humaine et technologique qui a donné naissance à une nouvelle activité dans le groupe et qui se poursuit aujourd’hui.
*SAFE Cluster : pôle de compétitivité des filières : AÉRONAUTIQUE & SPATIAL – SÉCURITÉ & SÛRETÉ – DÉFENSE – ENVIRONNEMENT (RISQUES & RÉSILIENCE)
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