Depuis des millénaires, l’humanité lève les yeux vers les étoiles pour tenter de comprendre le fonctionnement de l’Univers. Les moyens d’observation ont bien évolué depuis la lunette astronomique de Galilée, et si les projets actuels permettent d’affiner nos connaissances scientifiques sur les événements et phénomènes lointains, leur conception et leur mise en œuvre génèrent des impacts environnementaux sur Terre qui sont, eux, bien tangibles. La crise climatique exige une action urgente de la part de toutes les composantes de la société, y compris de la communauté scientifique. C’est pourquoi il convient d’intégrer les considérations environnementales dans la recherche en astrophysique. L’analyse de cycle de vie des projets spatiaux en constitue la première étape.
X-IFU : intégrer les contraintes environnementales au développement d’instruments de recherche en astrophysique
NewAthena (Advanced Telescope for High ENergy Astrophysics) est une mission spatiale de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) conçue pour observer l’Univers en rayons X. Son lancement est prévu à l’horizon 2037, dans le cadre du programme scientifique Cosmic Vision.
Les observations réalisées grâce à NewAthena alimenteront les connaissances scientifiques sur la thématique de l’Univers chaud et énergétique. Elles permettront aux astrophysiciens d’affiner nos connaissances sur les trous noirs, les explosions d’étoiles et les amas de galaxies, entre autres. Grâce à une sensibilité et à des performances inédites, NewAthena aura un impact profond sur de nombreuses aires d’étude de l’astrophysique. Pour l’assister dans cette mission, le X-IFU (X-ray Integral Field Unit), un spectromètre à rayons X haute résolution, est l’un des instruments majeurs embarqués par le NewAthena.
Alors que les analyses de cycle de vie (ACV) restent encore à la marge dans le domaine de la recherche en astrophysique, le consortium X-IFU s’est engagé dans une ACV pour évaluer les impacts de conception d’un tel instrument. Cette ACV, réalisée par SCALIAN pour le compte de l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP), est un premier pas vers une démarche d’éco-conception.
Mesurer les impacts environnementaux du X-IFU
Une ACV est une méthodologie de quantification des impacts environnementaux (changement climatique, épuisement des ressources, santé humaine, biodiversité…) générés par l’ensemble des phases du cycle de vie, de la conception à la fin de vie, d’un produit, d’une technologie, ou d’un service. En tant que première étape d’une démarche d’éco-conception, elle permet d’identifier les points chauds en termes d’impacts environnementaux, et donc de prioriser les actions de réduction.
Dans le cas du X-IFU, l’ensemble des flux de matières, d’énergie, et de transport nécessaire à la livraison de l’instrument a été comptabilisé. À ce titre, les membres du consortium responsables des sous-systèmes composant l’X-IFU ont été sollicités pour décrire précisément les activités dont ils ont la charge.
Un cas pilote a d’abord été réalisé avec deux sous-systèmes, puis étendu à l’ensemble des composants de l’X-IFU. La démarche respectait deux étapes :
– une sensibilisation des parties prenantes à l’ACV et à l’intérêt de leur participation au projet,
– une interview de collecte de données.
Les interviews réalisées ont porté, entre autres, sur la composition matérielle de chaque sous-système, sur les caractéristiques des tests réalisés (durée, équipements utilisés et consommations respectives), ou sur les déplacements professionnels. Les membres du consortium étant basés dans différents pays, il a également fallu tenir compte des variations de mix énergétiques, ces derniers exerçant une grande influence sur les résultats finaux.
La modélisation de l’ensemble des flux identifiés et leur conversion en impacts environnementaux ont été réalisés sur Simapro (logiciel professionnel d’ACV), en utilisant la base de données Ecoinvent. Cette base de données est utilisée dans un grand nombre d’ACVs. Bien que diversifiée, elle a dû être complétée par des éléments issus de la base ESA, ainsi que par la création d’entrées pour certains métaux rares, afin d’être plus représentative des activités du secteur spatial.
Des résultats importants pour mieux comprendre l’impact environnemental du secteur spatial
Cette étude a permis de mettre en évidence trois postes majoritaires en termes de contribution aux impacts environnementaux :
– Les activités d’AIT (Assembly, Integration, Tests) qui regroupent l’ensemble des moyens utilisés pour qualifier les sous-systèmes et l’X-IFU, dont les salles blanches et les équipements de tests.
– Le travail de bureau (office work) regroupant les consommations des bâtiments et les déplacements domicile-travail du personnel travaillant sur l’X-IFU.
– Les déplacements professionnels.
En ce qui concerne la question du changement climatique, il a été défini que le cumul des activités nécessaires à la fabrication de l’X-IFU génère environ 25 000 tonnes de CO₂, soit l’équivalent des émissions de plus de 2 700 français en un an.
Cette étude pionnière dans la recherche en astrophysique a par ailleurs fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Experimental Astronomy, détaillant les résultats plus en profondeur. Cette publication est en accès libre sur ArXiv.
Et après ?
Il ne s’agit là que d’une première étape dans l’estimation précise de l’empreinte environnementale du projet X-IFU. Il existe plusieurs points à perfectionner lors de la mise à jour de l’analyse à venir : des hypothèses à préciser sur les déplacements, sur les volumes de matières premières extraits, et des niveaux de collecte de données variables en fonction des sous-systèmes étudiés.
Depuis la réalisation de cette étude, l’IRAP a acquis sa propre licence d’outil d’ACV et peut maintenant poursuivre ces travaux en autonomie. SCALIAN et l’IRAP continueront d’échanger sur cette thématique dans le futur, notamment au sein du groupe de travail « écoconception du spatial », initié en 2024 par l’ESA.
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