Souveraineté dans les achats : les acheteurs en quête d’indépendance stratégique

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    3 March 2025

Les acheteurs, piliers d’une économie en quête d’autonomie ? Face à une mondialisation fragilisée, aux tensions géopolitiques exacerbées et aux défis environnementaux pressants, la souveraineté dans les achats s’impose de plus en plus comme un impératif stratégique. Les chaînes d’approvisionnement, autrefois symboles d’efficacité, sont aujourd’hui sources de vulnérabilités. Dans ce contexte, les acheteurs se positionnent en véritables chefs d’orchestre, garants d’une résilience économique durable et responsables des décisions qui façonnent l’avenir. 

 

Une quête de maîtrise stratégique

La souveraineté dans les achats consiste à limiter les dépendances critiques envers des fournisseurs ou des zones géographiques tout en développant les capacités internes des organisations à répondre de manière autonome à leurs besoins. 

 

Une dépendance géographique accrue : un constat alarmant

Dans un monde globalisé, certaines régions concentrent des industries stratégiques, exposant les chaînes d’approvisionnement à des perturbations majeures. Ces dépendances géographiques, devenues des risques critiques, mettent en péril la résilience des entreprises et des économies. Les exemples concrets abondent et illustrent cette fragilité. 

Le secteur des semi-conducteurs incarne parfaitement cette vulnérabilité. Taïwan et la Corée du Sud produisent à elles seules 70 % de l’offre mondiale, une concentration qui a révélé toute sa dangerosité lors de la pénurie mondiale de 2021. Cette crise a frappé de plein fouet l’industrie automobile, forçant des géants de l’automobile à ralentir considérablement leur production, entraînant des pertes colossales estimées à plusieurs milliards d’euros. 

La domination asiatique ne s’arrête pas là. La Chine règne sur plus de 80 % de la production mondiale de panneaux solaires, grâce à son monopole sur le traitement du silicium et la fabrication des cellules photovoltaïques. Cette mainmise a freiné les ambitions européennes de développement de fermes solaires. Les coûts en hausse, amplifiés par les tensions logistiques et les droits de douane, ont ralenti la transition énergétique, accentuant une dépendance déjà préoccupante vis-à-vis de la Chine. 

Le titane, ressource clé pour l’aéronautique, l’automobile et les technologies médicales, illustre aussi les dangers liés à la concentration des ressources. La Russie, qui représente 15 % de la production mondiale, occupe une place cruciale. En 2022, la guerre en Ukraine a exacerbé les craintes autour de son approvisionnement, poussant Airbus et Boeing, fortement dépendants des producteurs russes, à envisager des scénarios d’urgence face aux perturbations logistiques et aux sanctions économiques. 

L’industrie pharmaceutique européenne, n’est pas non plus épargnée. Plus de 50 % des principes actifs utilisés pour fabriquer les médicaments proviennent de l’Inde et de la Chine. La pandémie de la COVID-19 a jeté une lumière crue sur cette réalité lorsque l’Inde a décidé de restreindre ses exportations de médicaments essentiels comme le paracétamol, provoquant des pénuries dans les hôpitaux européens. 

Ces exemples montrent avec une clarté saisissante combien les chaînes d’approvisionnement mondialisées peuvent être instables et incertaines 

Toutefois, la souveraineté dans les achats ne se limite pas à réduire les dépendances géographiques. Elle implique aussi de repenser la relation avec les fournisseurs pour éviter de se retrouver « captif » d’un acteur unique. 

 

Dépendre d’un fournisseur unique : une vulnérabilité qu’il faut absolument éviter

L’indépendance vis-à-vis d’un fournisseur unique s’impose aujourd’hui comme une priorité stratégique incontournable pour toute organisation. L’enjeu dépasse largement la simple réduction des dépendances géographiques, il s’agit de diversifier les partenaires, de sécuriser les relations et d’assurer une stabilité d’approvisionnement qui protège l’entreprise face aux aléas et aux crises. S’appuyer sur un seul acteur peut rapidement se transformer en talon d’Achille, surtout si ce fournisseur exerce un monopole ou domine son marché. Une telle situation crée une fragilité extrême, car la moindre faille, qu’il s’agisse de problèmes financiers, de ruptures de stock, de bouleversements politiques ou de changements dans les processus de production, peut déséquilibrer toute une chaîne d’approvisionnement et entraîner des conséquences désastreuses. 

Dans ce contexte de risques croissants, les acheteurs se trouvent face à une responsabilité majeure : celle de construire une résilience stratégique. Il ne s’agit plus simplement d’optimiser les coûts, mais de garantir l’autonomie et la compétitivité des entreprises dans un monde où les imprévus se multiplient et où l’incertitude devient la norme. La souveraineté dans les achats n’est donc plus une option, elle devient une nécessité pour préserver la pérennité et l’agilité face à un futur toujours plus complexe. 

 

Réduire sa dépendance : des solutions pour une souveraineté durable

Pour réduire efficacement la dépendance, la priorité est d’élargir la base de fournisseurs en s’entourant de plusieurs partenaires capables de répondre aux mêmes besoins. Cette stratégie offre une protection précieuse contre les conséquences qu’une défaillance isolée pourrait engendrer. Imaginer un écosystème où chaque acteur joue un rôle clé renforce la sécurité et la stabilité des approvisionnements. C’est aussi une opportunité d’obtenir des conditions commerciales plus avantageuses qui renforcent la compétitivité globale de l’entreprise. 

 

Favoriser le sourcing local, régional, ou national

La diversification doit se faire en fortifiant le sourcing local, régional et/ou national, pour constituer une solution durable et efficace face aux vulnérabilités liées aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Collaborer avec des fournisseurs géographiquement proches offre une multitude d’avantages cruciaux pour les entreprises modernes. Cela limite les risques liés aux fluctuations des prix de transport, garantit une meilleure maîtrise des coûts et réduit les retards logistiques tout en atténuant les impacts et risques des crises mondiales. Cette démarche s’inscrit pleinement dans une logique de responsabilité sociétale en favorisant des pratiques plus éthiques et respectueuses des normes sociales et environnementales. Travailler localement renforce également les interactions directes et transparentes, offrant ainsi une agilité et une réactivité précieuses face aux imprévus. 

Cette sécurisation via le biais de la relocalisation fait référence à la notion du friendshoring. 

Malheureusement, avec des coûts considérés encore trop élevés, l’intérêt et le développement du “Made in France” a fortement chuté. Selon l’étude annuelle du cabinet AgileBuyer et du Conseil national des achats (CNA), réalisée fin 2023, le “Made in France” comme critère d’attribution d’une commande par les directions des achats des entreprises est passé de 61 % en 2022 et 65 % en 2023 à 47 % pour 2024. Il retombe ainsi au même niveau qu’en 2021. 

Source : Les entreprises achètent de moins en moins de made in France | Les Echos 

 

Construire des partenariats solides

Parallèlement, il est crucial de construire des partenariats solides, basés sur la confiance et la collaboration. Ces alliances stratégiques offrent la garantie d’alternatives fiables pour pallier les perturbations et maintenir la continuité des activités. Elles prennent une importance encore plus grande lorsque la situation exige une flexibilité immédiate pour réajuster les flux ou adapter les commandes. Renforcer ces liens permet non seulement d’assurer la stabilité mais aussi de créer une synergie durable et résiliente face aux imprévus. 

 

Évaluer et anticiper pour mieux se protéger

Pour éviter les mauvaises surprises, il est indispensable d’évaluer régulièrement la performance des fournisseurs. Une analyse approfondie de leur solidité financière, de leur capacité de production, et de leur conformité aux normes permet d’anticiper d’éventuelles faiblesses. Des outils comme les matrices de risques ou des logiciels de gestion des relations fournisseurs (SRM) offrent une visibilité en temps réel, facilitant l’identification des points de vulnérabilité et des alternatives stratégiques. 

La robustesse des contrats joue également un rôle clé. Intégrer des clauses spécifiques, telles que des engagements de continuité de service ou des pénalités en cas de manquement, constitue une barrière supplémentaire contre les imprévus. 

 

Les nouvelles technologies au service du sourcing intelligent

L’intelligence artificielle révolutionne la manière dont les entreprises sourcent et gèrent leurs fournisseurs en permettant d’analyser des milliers de données en un instant. Grâce à sa capacité à identifier rapidement des partenaires potentiels, prédire les tendances du marché et anticiper les variations des coûts, l’IA devient un allié stratégique incontournable. Des plateformes telles que TealBook ou JAGGAER offrent une évaluation détaillée des fournisseurs, allant au-delà de la simple qualité pour inclure des critères essentiels comme le respect des normes RSE, permettant ainsi d’optimiser les choix tout en renforçant l’engagement responsable des entreprises. 

 

Favoriser les écosystèmes locaux grâce à des approches collaboratives

Stimuler la production locale passe aussi par des initiatives collectives. Les groupements d’achats, par exemple, permettent à plusieurs entreprises de mutualiser leurs volumes pour obtenir de meilleures conditions et soutenir les fournisseurs locaux. Le co-développement, à travers des contrats à long terme ou des programmes de formation, aide également les partenaires locaux à améliorer leurs capacités et à répondre aux exigences des entreprises. 

 

La blockchain : transparence et traçabilité

Enfin, la blockchain révolutionne la gestion des chaînes d’approvisionnement en garantissant une transparence totale et une traçabilité accrue. Chaque étape du cycle de vie des produits peut être suivie, de la production à la distribution, réduisant ainsi les risques de fraude et d’erreurs. Des solutions comme IBM Food Trust permettent, par exemple, de tracer les aliments depuis leur origine jusqu’à leur point de vente, renforçant la confiance des consommateurs et la sécurité des transactions. 

 

La souveraineté, un levier de transformation pour les acheteurs

Renforcer la souveraineté dans les achats n’est pas qu’une réponse aux crises : c’est un véritable levier stratégique pour bâtir un avenir plus résilient, compétitif et responsable. En diversifiant leurs sources, en adoptant des technologies innovantes et en consolidant leurs partenariats locaux, les acheteurs deviennent des acteurs incontournables de l’indépendance économique.

Consultez notre podcast Beyond sur les achats souverains pour creuser le sujet :

 

Et retrouvez ici notre article sur toutes les tendances des achats en 2025.

 

Et vous, êtes-vous prêt à devenir le gardien de l’indépendance stratégique de votre organisation ?

Auteur : Alizé Dormoy, Purchase Practice Leader Scalian

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