Les relations entre l’Homme et la nature ne sont pas au beau fixe ! Les rapports récents du GIEC (climat, 2022) ou de l’IUCN (biodiversité, 2021) le reprécisent bien ! Pourquoi ? Sommes-nous inquiets quant à notre futur ?
L’humain a cessé d’être totalement un animal quand, après avoir appris à fabriquer des outils, de plus en plus élaborés, gardés et transportés, il a domestiqué le feu, il y a de cela largement plus d’un million d’années. Et là débutera l’inquiétude et l’intranquillité que nous évoquons souvent : l’obsession de garder ce feu actif, inlassablement, partout, en toutes situations et circonstances, même durant les plus longs voyages dans des territoires très humides. Cela voulait-il dire qu’auparavant il n’y avait pas d’intranquillité ? Non, bien sûr, mais pas la même, celle, classique chez tous les animaux mobiles et pourvus d’un système neuronal approprié, de la quête de la nourriture et celle d’échapper aux prédateurs… Trouvera-t-on à manger et pourrons-nous éviter d’être mangés ? Lucy en savait quelque chose, il y a quelques 3 millions d’années !
Aujourd’hui il nous faut cesser ces scepticismes de tous ordres alimentés par de puissants lobbies irresponsables et, sans irraisonnablement (ne sombrons pas dans une éco-anxiété paralysante !) nous effrayer, prendre nos préoccupations environnementales à bras le corps et mettre tout en place pour réagir. Edgar Morin nous dit en 2018 « … le probable est catastrophique, il est que nous allons vers l’abîme… ». Mais il rajoute « …Pourtant, il y a toujours eu de l’improbable dans l’histoire humaine, le futur n’est jamais joué… Le propre de la métamorphose, comme de toute création, est de ne pas être prévisible… il nous manque la conscience d’humanité planétaire… ». Quand admettrons-nous notre irresponsabilité présente et notre mépris total de ce que nous laisserons à nos descendants, ceci menaçant aussi d’ailleurs nos fins de vie, pour nous-mêmes ? Le pilotage politique actuel à court terme a cessé de fonctionner, les conditions d’expression de notre économie ne sont plus adaptées, ce n’est pas la fin du monde, mais la fin d’un monde, celui qui nous a mené dans l’impasse actuelle. Une économie, croit-on sans tenir compte des externalités, qui consiste à faire gagner de l’argent en détruisant la nature ou en la surexploitant est condamnée, la même prônant une croissance infinie dans un monde fini, demain peuplé de 9 ou 10 milliards d’humains, menant forcément au chaos social et à la déstabilisation. Oui, nous avons ainsi aujourd’hui beaucoup de sources d’intranquillité, souvent balayées par l’insouciance ou la jouissance de biens matériels à court terme, en délaissant les ¾ des humains… Si la prise de conscience s’est bien généralisée, et la ratification si rapide de l’Accord de Paris en est une spectaculaire démonstration en 2016, faisons-nous cependant tout ce qu’il faut pour enrayer les dégradations généralisées de nos environnements ? Quand passerons-nous enfin de faber à sapiens ?
L’épisode actuel de la pandémie du coronavirus 19 nous éclaire parfaitement sur notre situation : ce qui n’aurait pas dû se passer s’est produit et ce qui aurait dû rester confidentiel autour de Wuhan a fait le tour du monde à une vélocité foudroyante. Ceci est encore dû à notre maltraitance du vivant ! Lorsqu’elle est suffisamment préservée et en bon état, la diversité du vivant nous émerveille, nourrit, guérit, entretient, rassure, elle nous inspire. La théorie économique de la “myopie au désastre”, pourrait ici être appliquée aussi pour la crise sanitaire. C’est en fait une tendance au fil du temps, qui consiste à sous- estimer la probabilité de chocs peu fréquents dans un environnement incertain, où le risque n’est pas probabilisable, en raison de sa faible fréquence. En fait, on finit par oublier le passé et alors imaginer que ce qui est très rare devient nul ! Les ¾ des maladies nouvelles depuis 1940 sont dus à des « sauts d’espèces » (zoonoses).
Et cela reviendra si nous continuons comme avant. L’accélération du changement climatique convoque de façon aiguë nos comportements, les années écoulées sont les plus chaudes depuis 160 ans, et les canicules vont se succéder. Nous ne sommes pas en guerre contre un virus mais contre nos activités et nos comportements : trop de consumérisme et pas assez de sobriété ! En définitive, notre ennemi n’est pas le virus, mais nous- mêmes ! Et nous oublions en permanence notre dépendance à la nature. Donc, surtout ne revenons pas au système d’économie débridée qui vise à construire un profit sur la destruction ou la surexploitation de notre capital : la nature.
Rappelons-nous le en permanence : nous sommes eau, sels et cellules ! Puisse un petit virus composé de seulement quinze gènes provoquer l’électrochoc salutaire collectif dont nous avons besoin… .
Gilles Boeuf
Professeur à Sorbonne Université